Peintures

 

Le fait de peindre sur kraft tendu au mur désacralise l’objet même du tableau, le réduisant (au sens primitif du terme) durant toute la durée de son élaboration à une pure surface plane, sans épaisseur aucune. Un lieu vierge de toute compacité, à l’intérieur duquel je me suis toujours senti à l’aise pour élaborer mes procédures, aménager mes tracés, délier mes lignes, étaler mes couleurs et apposer ma matière. Un champ clos et dégagé, pourtant, de tout oripeau trop pesant. Plusieurs lâchages de lest me sont proposés alors : une liberté de création, une expérimentation accrue du fait du moindre coût de l’opération ainsi qu’un gain de place lors du stockage des travaux réalisés permettant de donner libre court à une production plus importante. Je roule mes peintures et peux du coup thésauriser à loisir dans un coin de l’atelier des grands formats que je ne marouflerai ensuite qu’au grès des expositions. Parois de la caverne. En peignant, j’ai le sentiment d’intervenir ainsi sur le mur lui-même, comme un graffeur, sans ressentir sous mes pinceaux l’irruption ambiguë d’une toile, l’épaisseur sacralisée d’un châssis, dans un rapport faussement éphémère avec ma peinture. Cet élément de légèreté est essentiel pour démarrer ma déambulation colorée, même si je sais que la finalité de mes couches de peinture tend à se matérialiser en trois dimensions lors du marouflage, comme si je devais détacher au burin un morceau du mur où se trouve tracée ma peinture. Ces deux étapes bien distinctes procèdent chacune d’une logique différente : liberté aérienne du tracé ou du recouvrement lors de l’élaboration de la peinture ; ancrage dans une matière, un objet épais, lors de la mise en forme définitive. Et cette dernière étape n’est en rien accessoire, car si j’ai besoin de lâcher des sacs de sable lors de l’ascension, il est essentiel d’arrimer solidement in-fine l’image advenue pour qu’elle ne papillonne pas aléatoirement dans les airs comme ces paperolles de journaux brulés voltigeant au-dessus du feu. J’ai d’ailleurs fait plusieurs fois l’expérience avec des personnes différentes qui n’arrivent pas à « voir » mes peintures lorsqu’elles sont encore sur kraft libre, et qui les découvrent ensuite une fois marouflées sur bois ou toile et châssis.